Homélie de Stanislas Lalanne pour le Jeudi Saint 9 avril 2020
Vous le savez sans doute, l’évangile selon saint Jean ne rapporte pas, comme les trois autres évangiles, les paroles de la Cène. Aussi, pour essayer de comprendre un peu mieux ce que signifie « aimer jusqu’au bout », Jean choisit de raconter un autre signe, celui du lavement des pieds.
Ce choix nous aide et nous invite à pénétrer plus profondément dans le sens de l’eucharistie en ce jeudi saint, où nous faisons mémoire de la cène du Seigneur. « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde il les aima jusqu’au bout », c’est-à-dire qu’il les aima jusqu’à donner sa vie.
La réalité du don de sa vie que fait Jésus, nous l’évoquerons demain : son arrestation, son procès, sa condamnation, sa passion et sa mort sur la croix.
Quand nous voulons essayer de déchiffrer quelque chose du message qui nous est donné par le Christ en croix, c’est qu’à travers ce geste, le Fils exprime simultanément :
• son obéissance totale au Père
• et son amour pour l’humanité vécu jusqu’au bout.
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », nous dit saint Jean. Mais la mort du Christ sur la croix, c’est un jour du temps, un jour de l’histoire.
Comment cette réalité va-t-elle être manifestée à travers des signes, des paroles, des gestes qui vont en perpétuer la mémoire et l’actualité ?
Les évangiles nous proposent, d’une certaine façon, deux sacrements de l’amour.
Le premier sacrement de l’amour, c’est le sacrement de l’eucharistie dans lequel Jésus, partageant le pain et donnant la coupe, annonce et réalise :
• que ce pain partagé, c’est son corps livré pour l’humanité, pour le salut du monde,
• que cette coupe de vin, c’est son sang versé pour la multitude.
« Faites cela en mémoire de moi », rappelle saint Paul dans sa première Lettre aux Corinthiens.
Chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous reconnaissons dans la foi que ce pain, que nous bénissons et partageons, est le corps du Christ. Il est le signe visible et efficace du don de sa vie par amour pour le Père et par amour des hommes.
La coupe que nous bénissons et que nous partageons, c’est le sang du Christ qui exprime cet amour du Père vécu jusqu’au bout.
En ce jeudi saint, c’est tout notre ministère de prêtre, d’évêque qui prend sens et qui s’éclaire. Choisis comme prêtres, comme évêque, pour être ceux par le ministère desquels vous recevez le corps du Christ, vous devenez le corps du Christ.
C’est pourquoi, même si nous célébrons l’eucharistie en privé, il est rude pour nous, de ne pas être rassemblés en ce jour avec nos communautés…
Mais l’évangile de Jean nous propose un second signe qui exprime, aussi, l’amour extrême du Christ pour les hommes, et en particulier pour ses disciples.
Là aussi, il se présente comme un exemple qu’il invite ses disciples à reproduire. Et donc nous aussi !
Jean rapporte quelle fut la réaction violente de Simon Pierre quand Jésus, après le repas, se baisse pour lui laver les pieds ! « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Impossible, pense-t-il, que le Maître s’abaisse jusqu’à prendre la place du dernier des serviteurs ! Cette incompréhension de l’apôtre révèle la nôtre… Rendez-vous compte : lui, le Seigneur et le Maître, prend le tablier du serviteur…
Et pour exprimer le sens de sa mission et de sa vie, il se met à genoux devant ses disciples dans la position de l’esclave pour leur laver les pieds.
Quand on se met aux genoux de quelqu’un pour se mettre à son service, il n’y a pas besoin de sous-titre et d’explication. On comprend tout de suite !
Ce geste manifeste concrètement et publiquement une sorte d’inversion des rôles. Jésus en explique le sens à ses disciples : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Si moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, c’est pour que vous vous laviez les pieds les uns aux autres. »
C’est parce qu’il les aime « jusqu’au bout » que Jésus se met dans cette position inversée de serviteur de ses disciples. C’est dans le même amour qu’il sera entraîné dans l’arrestation, le procès, la condamnation et l’exécution. C’est dans ce plus grand amour que Jésus livre sa vie comme signe de la miséricorde de Dieu envers tous les hommes.
Accepter que le Christ, Maître et Seigneur, se fasse notre serviteur, nous conduit donc à entrer, nous aussi, dans ce dynamisme de l’amour extrême.
C’est aller plus loin que la recherche de comportements pacifiques les uns envers les autres. C’est aller plus loin que la simple cordialité ou qu’une capacité à pardonner, ce qui est déjà plus difficile !
C’est entrer réellement et profondément dans le don de notre vie au service de nos frères. Il s’agit de nous livrer tout entier, par amour.
Le lavement des pieds n’est pas un surcroît facultatif. Il manifeste que la vie cultuelle, que la célébration de l’eucharistie ne se suffisent pas à elles-mêmes. Sous peine de devenir illusoires, elles ne trouvent leur sens que dans l’amour effectif.
Je suis d’ailleurs témoin, en ces jours si difficiles, d’admirables et humbles gestes de dévouement, de solidarité et de fraternité qui révèlent le meilleur du cœur de l’homme, le meilleur de l’humanité.
Finalement, nous voyons bien ce qui résiste chez tant de chrétiens, en chacun de nous aussi, dans l’appel à participer à l’eucharistie !
La question n’est pas de savoir si la messe est agréable ou pas, si on s’y ennuie, si la liturgie nous plaît ou non, si tel prêtre ou tel évêque préside ou prêche moins bien ou mieux que d’autres !
Il s’agit en fait de savoir si nous acceptons ce retournement des rôles, ce retournement qui nous conduit à nous faire serviteurs de nos frères… Ou bien si nous décidons, par notre comportement, de nous ériger en maîtres et seigneurs dans l’Eglise et dans le monde, nous qui sommes de simples disciples.
En se mettant à genoux devant quelques membres de l’assemblée, le prêtre ou l’évêque représente symboliquement cette inversion des rôles. Et comme Jésus nous le dit, le premier doit prendre la place du serviteur et du plus petit.
La liturgie invite le président de l’assemblée, prêtre ou évêque, à faire le même geste que Jésus.
Non pas pour exprimer un sentiment personnel entre lui et les quelques personnes privilégiées auxquelles il lave les pieds ! Mais pour exprimer symboliquement le sens du ministère qu’il a reçu, que nous avons reçu, qui est un ministère de service au nom du Christ.
En refaisant ce geste, nous manifestons le véritable sens de l’eucharistie :
• nous faire les serviteurs les uns des autres,
• entrer dans le don de notre vie, en participant à l’offrande que Jésus fait de sa vie.
Que le Seigneur nous donne de découvrir dans le corps livré et le sang versé :
• le signe de l’amour qui est plus fort que la mort,
• le signe de l’amour qui doit habiter nos cœurs pour nous apprendre à nous aimer les uns les autres à la manière du Christ.
Amen.
9 avril 2020
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