Homélie de Stanislas Lalanne pour le 5e dimanche de Pâques 10 mai 2020
Dans l’évangile selon saint Jean de ce dimanche, nous voyons Jésus préparer ses disciples au temps où il ne sera plus avec eux de manière visible.
Durant des mois, ils ont marché avec lui, ils ont écouté sa parole, ils ont vu les signes qu’il a accomplis. Après avoir vécu les événements de sa Passion et avoir rencontré le Ressuscité, viendra un temps où il ne sera plus au milieu d’eux. Nous comprenons que Jésus les invite à ne pas être bouleversés !
Parmi les apparitions du Ressuscité, l’évangile relate celle de Jésus huit jours après sa résurrection.
Rappelez-vous, c’est lorsqu’il vient une seconde fois au milieu de ses disciples pour que Thomas puisse le voir de ses yeux et le toucher de ses mains. Jésus conclut en disant à Thomas : « Tu as cru parce que tu as vu. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu. »
C’est bien notre cas ! Nous faisons partie de ces générations de croyants invités à croire sans avoir vu le Christ ressuscité de leurs yeux.
Et, comme pour les disciples après l’Ascension, la question de savoir comment Jésus est présent à notre vie se pose donc à nous continuellement. Cette question fait partie intégrante de notre vie chrétienne.
Que signifie donc croire au Christ ? Quelle place tient-il dans notre relation avec Dieu et dans notre marche vers le Père ?
Dimanche dernier, nous avons médité la parabole où Jésus se désigne comme la porte, celui par lequel il faut passer pour accéder au Père. Dans cet évangile, il se désigne comme « le chemin, la vérité et la vie ». Et il ajoute « Personne ne va vers le Père sans passer par moi. »
Il y a dans cette formulation une espérance puissante pour nous qui voulons croire au Christ : la personne du Christ, mort et ressuscité, est le passage pour entrer en communion avec le Père. Mais nous recevons aussi ces paroles avec une certaine gêne !
Lorsque Jésus dit : « Nul ne peut aller vers le Père sans passer par moi », cela signifie qu’il est l’intermédiaire, le passage et le chemin exclusif pour accéder à Dieu.
Cette exclusivité trouble nos consciences modernes éprises de pluralisme et de tolérance ! Faut-il vraiment passer par le Christ ou n’y aurait-il pas quantité d’autres chemins pour aller vers Dieu ?
Cette question n’est pas mineure. Car estimer positivement d’autres religions nécessite-t-il de relativiser le rôle du Christ dans notre propre démarche ?
Tout au long de la vie de l’Eglise, les chrétiens ont reconnu qu’il peut y avoir quelque chose de vrai, de juste et de bon dans d’autres religions. Mais cette conscience ne doit pas se transformer en dévalorisation de notre propre chemin.
Comme chrétien, je ne peux pas entrer dans une relation positive avec des juifs, des musulmans, des bouddhistes ou même des athées :
• en supposant qu’ils sont en train de devenir chrétiens,
• ou encore en renonçant à ma propre conviction chrétienne.
Je ne peux entrer dans cette relation qu’en étant fidèle à ma vocation et à l’appel que Dieu m’adresse.
Dans l’univers pluriculturel et pluri-religieux auquel nous appartenons, prendre conscience des paroles de Jésus, qui se présente comme « le chemin, la vérité et la vie », ce n’est pas un acte d’exclusion à l’égard des autres.
C’est la condition nécessaire pour que nous soyons nous-mêmes et que nous mettions en œuvre la capacité que le Christ nous donne d’entrer avec tous dans une relation positive. Être plus profondément fidèle à notre foi, c’est être capable d’entrer vraiment en relation avec les autres.
Mais Jésus va encore plus loin. Il ne se présente pas seulement comme l’intermédiaire exclusif dans la relation avec Dieu. D’une manière plus scandaleuse encore pour ses auditeurs, il affirme : « Qui m’a vu a vu le Père. »
En effet, la tradition judéo-chrétienne repose sur la conviction que Dieu n’a jamais été vu et ne sera jamais vu par personne. Jésus ne peut dire : « Qui m’a vu a vu le Père » que parce qu’il est dans une relation d’identification avec le Père.
Il n’est pas le Père et, à proprement parler, ce n’est pas le Père que voit l’apôtre Philippe. Mais il est de la même nature que lui. On peut donc bien dire que celui qui a vu Jésus a vu Dieu.
La foi chrétienne comporte cette prise de conscience inouïe que le Tout-Autre, l’Invisible, l’Insaisissable, l’Inconnaissable, Celui que la tradition juive refuse d’appeler par son Nom, est devenu l’un des nôtres et il a pu être vu, rencontré, touché, entendu.
Nous croyons que celui qui a vu Jésus a vu le Père.
Oui, nous croyons que celui qui a vu Jésus a vu le Père parce que nous reconnaissons qu’il est dans le Père et que le Père est en lui.
Toute la foi chrétienne repose donc sur le crédit que nous pouvons faire aux paroles de cet évangile. Jésus est-il vraiment pour moi le cœur de la foi, le passage obligé, le chemin vers la Vérité et la Vie ?
Croyons-nous que son Esprit répandu sur ses disciples et sur le Corps de l’Eglise nous assure le chemin vers Dieu ?
Croyons-nous que le corps du Christ ressuscité qu’est l’Eglise est le lieu où un chemin est proposé à tous pour aller vers le Père ?
Croyons-nous que la communauté que nous formons, l’Eglise, est bien ce corps sacerdotal dont parle la lettre de Pierre, c’est-à-dire le corps du Christ ?
Nous sommes invités à croire que l’Eglise est ce corps vivant qui doit être pour les hommes le signe incontournable de Celui qui est chemin, vérité et vie.
Nous sommes invités à croire que ce corps accomplit les œuvres de l’Esprit, des œuvres plus grandes encore que celles accomplies par le Christ.
Rendons grâce pour cette confiance qu’il nous fait. Amen.
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